Bratislava
Mardi 30 janvier 2001, 10h30 : Café-restaurant Jules Verne.
Si d’aventure vous passez par-là, rejoignez-moi, ensemble nous irons par ces rues
fouler le pavé, évoluer dans une architecture gothique, rendre des comptes à nos
poumons encrassés qui se gorgeront d’un air pur descendu des Carpates et
des Hautes Tatras.
Bratislava, ville d’entre les villes, ville à taille
humaine, propice aux déambulations et aux errances. Bratislava, la mosaïque, la
caractérielle, aux visages et facettes multiples. Bratislava, le charme slave,
Bratislava la tourmentée, Bratislava la tzigane à la peau brune-terre...
Bratislava l’onirique. Je la bénis d’entre toutes les cités.
Il y a son centre avec ses nombreux café-bars, la musique y est plaisante, le
plus souvent de bons morceaux de jazz. Voilà mon sport favori, fumer de longues
heures en buvant un café-Borovicka, et laisser courir ma plume.
Selon les saisons le centre et plus ou moins animé. Artistes de rue et vendeurs
à la sauvette comme partout, lorsque l’odeur du touriste basique se fait sentir.
Avant tout, on peut y croiser et ce, qu’il vente ou qu’il pleuve, le gitan qui
entonne avec son violon la musique déchirante de son folklore évanoui. Les
slovaques sont des gens très beaux, hospitaliers, conviviaux, d’une humeur franche
et directe. Mis à part les petits mafieux ( avec toute la panoplie : After-shave,
gomina et grand geste et idem vox), je n’ai pas rencontré l’empreinte et le visage
de l’individualisme ou alors je ne m’en souviens pas !
Vous croiserez encore quelques autres espèces de notre humanité, dans les rues du
centre, les « Chickie-mickys » par exemple, sorte de reines du superficiel,
championnes de l’apparence au teint dont la couleur vous sera à tout jamais inconnu.
Elles sont montées sur talons sonores et enroulées dans de la bonne fourrure,
un bon sandwich de poils à croquer - parfum Chanel svp.
Aussi présent, les skinheads - Lieu de ralliement : le tombeau des patriotes la
haut sur la colline - aussi désœuvrés intellectuellement que tout les autres dont
le pays n’est pas la terre, mais juste leur morceau de patrie, dans leurs putains
de frontière. Ils n’empêcheront pas les gosses des gitans, bien plus malins, de
vendre leurs bouquets de violettes aux coins des rues de la capitale.
Ici, j’ai retrouvé mes amis, je vis dans un somptueux placard : Chambre d’enfant
de Tamara ; un peu introverti, fatigué par le voyage, 12 heures en autocar.
Bratislava
Jeudi 1er février 2001, 19h15 : Restaurant Prasna Basta ( tour du château )
Il neige sur Bratislava, enfin de la neige. Le climat n’est pas aussi détraqué
que dans notre atroce Ouest, où l’économie turbo-capitaliste n’épargne rien, surtout
pas l’environnement. Sommes allés au sud de Bratislava, dans le quartier
décadent des internats. Avons passé une agréable soirée avec Sabina une amie à
Tamara parlant un français très soutenu, nos discussions étaient axées essentiellement
sur notre curieuse condition humaine et la littérature Slovaque, roumaine, russe, et française au rythme
frénétique du jambé à Tamara. Au petit matin nous avons visité un cimetière - une passion
commune - pure merveille, juché sur une colline, des tombes comme des oeuvres d’arts,
et au sommet une vue plongeante sur Bratislava, sommet sur lequel ont élu domicile
des clochards et leurs cabots, là, au-dessus de tout ils arrivaient en chantant :
« il nous faut des couronnes*, il nous faut des couronnes... »
Seul en fin de journée, je me suis rendu dans le petit muséum slovaque ( Frantiskanské
namestie), charmant, surtout les caves de tortures.
Pour le moment je déguste un bryndzove halusky, une singulière spécialité, et achève
en douceur l’écriture de la partie slave de mon recueil de poèmes :
« en présence de l’ange » ; suis-je au moins, au mieux l’ombre d’un humain ?
|
|
* Couronne : monnaie slovaque, 1 Franc ~ 6 Couronnes
Trnava / Sered / Krupina
Vendredi 9 février 2001… chez Mareck en Slovaquie centrale
Tamara et Mareck m'ont annoncé hier en fin de soirée que nous allions prendre la route...
Ainsi ce matin nous préparons dans la précipitation nos sacs pour une escapade d'une durée
de cinq jours à peu près. Pour ma part mon sac et essentiellement encombré de livres,
Rilke, Cioran, Hesse, wilde, Marina Tsvétaïéva, de quoi écrire, de quoi écouter
de la musique, des cachets pour l'estomac - soirée arrosée en perspective, et ma
brosse à dent qui nage entre les pages du précis de décomposition de l'ami Emil Cioran.
Notre première halte, nous l'avons effectuée à Trnava, à 40km de Bratislava.
Trnava est la deuxième ville importante de Slovaquie de l'ouest
( 75000 habitants ) - Si vous passez par ici arrêtez-vous à l' Archa ( L'arche ),
ne me demandez pas quelle rue, nous étions dans un état second, je peux vous certifier
que l'Archa se trouve dans un sous-sol, lorsque vous descendez, à votre droite
une sorte de chambre transcendantale avec matelas et coussins dans un cadre psychédélique,
la pièce principale du bar, des canapés profonds, et pour fond musicale : Radiohead –
Doors – L.Cohen - Piaf – Brel... en bref, une ambiance apaisante fréquentée par des
étudiants gentillets. J'ai été impressionné par l'éventail de thé en herbe proposé
derrière le comptoir, enfin si c'était bien du thé.
Nous avons mangé un morceau chez la grand-mère à Tamara ( Trnava étant la
ville natale de Tamara ) - Sympathique bonne femme, ce n'est pas la première fois
que nous nous rencontrons, ce qu'elle ne savait pas, c'est que depuis mon parlé
slovaque ne c'est pas beaucoup intensifié, et la grand-mère Tamara se bornait à me
compter je ne sais quelle histoire sur cette formidable ville de Trnava,
au hasard, je lui répondais des : ano – nié et dobré, cette situation semblait
beaucoup amuser Tamara, heureusement Mareck me traduisait en Anglais l'une ou
l'autre élocution. Madame Grand-mère Tamara est une ancienne professeur de... ? et
j'avais cette impression d'être un de ses élèves de la dernière heure.
Un dernier mot sur Trnava, une ambiance particulière, pas grand monde dans
les rues et une physionomie délirante autant que l'urbanisme.
En fin de soirée nous avons pris le bus en direction de Krupina, via Sered.
Alors bon ! Bien sûr Sered je n'en ai pas vu grand chose, nous n'avons que
fait attendre un bus qui a mis beaucoup de temps à venir. Si j'insiste sur Sered
alors que nous n'y avons rien fait de particulièrement intéressant, c'est bien que
j'y ai ressenti quelque chose d'une inspiration inattendue. En vérité nous ne savions
pas vraiment s'il y avait encore un bus pour Krupina et dans ce jour finissant
je ressentais une liberté sans bornes, qui me fît imaginer une nouvelle, où trois
compagnons s'aventurent en terre inconnue, tout les panneaux et arrêt de bus indiqueraient :
Néant central – Cosmos 40 – Noman'sland WRT – etc. Idéale conception pour le dérèglement
des sens qui vise à atteindre une poésie retirée de toute académie ( A.Rimbaud )
Bien entendu la réalité rigide a repris ses droits et aux environs de 20h00 nous
étions arrivés à Krupina.
Krupina ou la maison des artistes
Nous nous sommes établis chez Mareck (...Parents ).
Nous avons posé nos sacs et nous nous sommes restaurés à la table familiale
( des beignets de légume à plonger dans une excellente sauce blanchâtre ).
Par la suite nous sommes allés chez Léo, le pub du village, Tamara me faisait remarquer
que la majorité de la jeunesse Krupinienne écoutait exclusivement du "métal". Ceci
étant dit, vous pouvez imaginer la tronche des habitués du troquet ; j'ajoute pour
ceux qui cultivent les préjugés envers les pays de l'Est que dans ce pauvre patelin
de peut-être 800 âmes, vous trouverez, dans ce bar, votre divinatoire Internet.
Ce soir là, le Chivas coulait à flot - enfin pour moi, du reste je ne retranscrirai
pas ici tout les faits un peu plus personnel de cette soirée qui fût profondément mystique.
Il m'incombe à présent d'exposer les grandes lignes d'un projet que nous avons en commun.
A coté de ce sympathique troquet une immense maison et idem terrain, en fin de
construction. Il se trouve que cette maison appartient au père de Mareck. Pour l'historique
de cette fantastique histoire, son papa a acheté ce terrain - plus fondations - après
la chute de l'empire communiste et de son régime, pour la sommes modique de 2500Fr.
Voilà 15 ans que toute sa famille s'est obstinée à rebâtir cette maison... et quel résultat!!!
Ainsi notre rêve commun serait de créer une maison des artistes, un peu comme la
maison jaune de Van Gogh. Musiciens, écrivains, sculpteurs, artistes de tout poil
pourraient se retirer en ces lieux pour échanger des idées, composer des collaborations,
mettre en œuvre un contre pouvoir culturel, faire naître une humanité... j'ai bien envie
de vous tenir discours à propos des cinq dimensions... en résumé nous vivons dans
3 dimensions ( l'espace qui nous entoure ), la 4ème dimension c'est le temps, et la
5ème c'est la créatrice d'humanité, c'est le caractère qui nous différencie du monde
végétal et animal, la 5ème c'est notre imagination... ( Voir : art .d'E.Bond dans
Le Monde Diplomatique janv.01-P26 ). Ils n'appartient qu'a nous de faire de cette maison
un lieu de vie et d'harmonie propice à la création, pour repenser ce monde.
Nous mettons donc sur pied une association Franco-Slovaque d'échange artistique...
affaire à suivre.
Banska Bystrica
Samedi 10 février 2001... chez Laco et Mata
Nous nous sommes aventurés un peu plus profondément en Slovaquie centrale, plus au nord
vers les Hautes Tatras.
Nous avons quitté Krupina vers 15h00 après l'avoir un peu visité. Krupina,
la malheureuse à été victime de fortes inondations et de glissements de terrains.
Bus, train et tout le tralala. Nous nous trouvons à environs 200Km de Bratislava
dans une ville dont je ne sait rien : Banska-Bystrica.
Je ne sais rien de cette ville perdu dans les Carpates car je n'ai pas quitté
l'appartement ou nous avons squatté pendant deux jours.
L'osmose de Banska-Bystrica
J'ai été charmé, ensorcelé par ces gens, Laco - prof.d'italien - et Mata sont les
propriétaires de cet appartement de moyenne grandeur, autre couple présent, mis à part
Tamara et Mareck, Zdeno et Danka, et les deux tondus Ivo et Bilko, j'ai aussi fait
la connaissance de Miso.
Nous cohabitions tous les dix sans aucun mal, bien au contraire d'ailleurs.
L'appartement y fut pour beaucoup, une chambre mis à disposition pour le repos, une
chambre pour la musique et une pièce - la principale - de convivialité.
Tous les protagonistes de cette expérience cultivent en eux une différence absolue,
animés d'une verve singulière, les entendre jouer, jambé, guitare, et chanter ensemble
me transportait dans une vertigineuse transe poétique. Avais-je entendu quelque chose
d'aussi pure ? Un paradis underground ! Ces gens devenus mes amis ont beaucoup de mérite ;
mérite d'avoir su rester des enfants, de parler plusieurs langues, de s'intéresser à
un ordre de choses qui appartient à l'imaginaire et non à la réalité désuète et matérielle.
Là-bas j'applaudis et vénère la démocratie.
Car que fait-on de la démocratie à l'ouest ? La vit-on ?
C'est incroyable comme la définition d'un mot peut changer selon l'endroit où l'on se trouve.
A Banska-Bystrica j'ai cru mourir foudroyé par la liberté.
Mon constat est bien triste, en comparaison à la jeunesse française qui ruine et corrompt
sa liberté, qui se sert de la démocratie pour assouvir les plus primaires de ses instincts.
Ces jeunes Slovaques sont cultivés, leur intérêt ne se limite pas à consommer ce que
l'on veut bien leur offrir. Ces gens sont vivants et nous sommes morts.
|
|
Bratislava
Mardi 13 fevrier 2001... R.I.P café
De retour depuis lundi, je me sens... sinistre... glauque-vert.
Je sens le vent tourner, et ce maudit appel de l'ouest, là-bas Strasbourg, reprendre
ma vie de S.D.F et après?
Le château de Dévin
Encore un bon moment, le plus beau d'ailleurs, si vous passez à Bratislava, n'hésitez pas,
laissez tomber le shopping, allez à Dévin, bus n 29 à 10km ouest de Bratislava.
Là-bas, les ruines du château Romain, détruit par Napoléon et c'est tant mieux, c'est bien moins
touristique et plus onirique comme ça !
L'apothéose... grimper là haut au sommet de la colline adossé contre la tour tournée
front contre le vent, jeter un oeil sur les petites Carpates, panorama fabuleux,
un Danube énergique et la Morava qui s'y confond, le ciel presque rose,
non vraiment ! J'ai dû lâcher quelques larmes aux vents. Peu après nous sommes - avec
Tamara et Miso - descendus au village, ambiance fin du monde... nous n'avons pas bronché,
nous nous sommes arrêtés dans une buvette ( cave d'une maison aménagée ),
nous avons bu du vin chaud à base de myrtille et mangé des chips, l'ambiance ha oui !
les autochtones, ambiance fumante, le mobilier gros et lourd sculpté par un artiste local,
ambiance pochtron, avec télé allumée sur les informations locales, présence de la mafia villageoise...
Tamara et Miso ont beaucoup discuté, et moi je me suis endormi, les ruines de Dévin
ayant absorbé mes dernières forces.
Dernier jour...
Pour célébrer ça j'ai bourré ma pipe et suis allé faire une dernière balade dans bratislava.
Vers midi j'ai rejoins Tamara en face du musée national, Sabina était présente.
Ensemble nous avons visité cette caverne d'ali-baba qui vaut vraiment le détour ( prévoir 2 heures ),
de plus une expositions temporaire en hommage à Andy Warhol - d'origine Slovaque - rendait
cette visite encore plus intéressante. Et puis nous avons mangé un dernier morceau au Prasna-Basta
en tête à tête avec Tamara. Quant au reste... j'ai bien salué avec mon coeur et ma pensée
les 5 377 000 de Slovaques en quittant, à bord de l'autobus bleu cette cité féerique.
|