L'AFFAIRE ALTERN La législation
sur les hébergeurs de sites Internet est vivement contestée La législation
sur les hébergeurs de sites Internet est vivement contestée
À L'ORIGINE, les amendements à la loi sur l'audiovisuel proposés par le député Patrick Bloche (PS) avaient pour but de protéger les hébergeurs de sites Internet contre les plaintes abusives et le zèle de certains magistrats. Les hébergeurs étaient régulièrement tenus pour responsables du contenu illicite des sites stockés sur leurs serveurs, alors qu'ils n'en étaient pas les auteurs et n'avaient aucun moyen de tout surveiller en permanence. Cette situation menaçait directement la liberté d'expression : pour éviter les ennuis, les hébergeurs étaient incités à fermer préventivement les sites controversés. Lorsque M. Bloche voulait démontrer qu'une réforme était nécessaire, il prenait souvent en exemple le sort d'Altern (altern.org), hébergeur associatif gratuit et ouvert à tous. Dans la mesure où Altern refusait d'exercer ce type de « censure privée », il était harcelé par des procès incessants, alors que son fondateur, Valentin Lacambre, estimait mériter au contraire la sollicitude et la protection des pouvoirs publics. Les amendements Bloche ont enfin été votés le 28 juin dernier, mais le résultat est exactement inverse au but recherché : dès le lendemain, le patron d'Altern a décidé de fermer ses serveurs, estimant que la nouvelle loi le place dans une « position intenable ». D'un seul coup, près de 48 000 sites Web francophones sont mis hors service. Au cours de la navette parlementaire, qui a duré plus d'un an, le projet a été plusieurs fois remanié, et sa version finale contient des dispositions assez éloignées de l'esprit du projet de départ. Pour que leur responsabilité ne soit pas engagée, les hébergeurs doivent désormais se soumettre à une série de contraintes. M. Lacambre s'insurge tout d'abord contre l'obligation faite à l'hébergeur de « procéder aux diligences appropriées » dès qu'il est saisi par un tiers « estimant que le contenu d'un site est illicite ou lui cause un préjudice » : « En clair, cela signifie que je serai obligé d'avertir la justice à chaque fois que je reçois un message anonyme reprochant n'importe quoi à n'importe qui. Lors du débat parlementaire, la ministre Catherine Tasca a précisé que par »diligences appropriées«, il fallait comprendre obligation de saisir l'autorité judiciaire. C'est de la folie pure. J'y passerais tout mon temps, je connais des lobbies organisés qui me bombarderaient de plaintes nuit et jour », déplore M. Lacambre . D'autre part, les hébergeurs doivent désormais relever le nom et l'adresse des internautes désirant créer un site, afin de pouvoir les communiquer à la justice si celle-ci l'exige. « RÔLE D'INDIC » Or, dans le passé, M. Lacambre s'est toujours refusé à ficher les membres d'Altern, car, selon lui, l'anonymat est la seule vraie garantie de la liberté d'expression : « Si demain un nouveau procès me tombe dessus et qu'un juge exige de savoir qui sont les auteurs d'un site de sans-papiers, ou d'un site de salariés en conflit avec leur entreprise, ou d'un site parodique attaquant une personnalité influente, je ne pourrai pas fournir ces renseignements, car je ne les possède pas. Je serai constamment pris en défaut. Je sais que certains hébergeurs commerciaux n'auront aucun scrupule à constituer des fichiers-clients et à dénoncer tous les auteurs de sites polémiques, mais moi, je ne me vois pas dans un rôle d'indic. » M. Lacambre fait aussi remarquer qu'avec cette loi la France s'éloigne des pratiques en vigueur dans les autres pays démocratiques. Le plus simple pour les internautes français voulant protéger leur anonymat est d'ouvrir des sites chez des hébergeurs gratuits étrangers... Interrogé par Le Monde quelques jours avant le vote, M. Bloche avait tenu à minimiser le problème : il reconnaissait que le terme de « diligences appropriées » était vague, mais, à son avis, il signifiait simplement l'obligation de mettre en relation l'auteur du site et le plaignant, et de les laisser ensuite se débrouiller. De même, Christian Paul, député PS de la Nièvre et auteur du récent rapport sur la « corégulation de l'Internet », se disait satisfait de la dernière mouture des amendements et regrettait « que le débat sur la liberté d'expression se soit focalisé sur la question de l'anonymat », selon lui très secondaire. Pourtant, le projet n'avait pas fait l'unanimité au sein de la gauche plurielle, loin de là. Les radicaux de gauche et les communistes avaient publié des communiqués très critiques, accusant le projet d'être à la fois inutile et dangereux pour les libertés. Plusieurs députés Verts européens avaient manifesté leur solidarité avec les opposants au projet. De son côté, la Ligue des droits de l'homme avait adressé une lettre ouverte à Mme Tasca demandant un report du vote, car le texte en l'état constituait une sérieuse menace contre la liberté d'expression. Le chapitre français de l'Internet Society (ISOC) avait pris position contre les amendements, dénonçant notamment l'absence de véritable concertation. M. Lacambre, usé par les procès à répétition, abandonne le combat, au moins provisoirement, mais d'autres n'ont pas renoncé. Plusieurs associations d'usagers et de professionnels, dont Iris ( www.iris.sgdg.org), ont lancé une pétition de protestation, qui a déjà reçu la signature de près de deux cents organisations françaises et étrangères. L'objectif est de faire pression sur les pouvoirs publics pour que les amendements Bloche soient modifiés ou annulés par la future loi sur la société de l'information, qui doit être présentée au Parlement cet automne ou au début de 2001.
Valentin Lacambre
Bien qu'il s'en défende, Valentin Lacambre est un personnage de l'Internet français. Le créateur d'Altern.org a été rendu célèbre malgré lui par l'affaire Estelle Hallyday (Lire l'analyse juridique parue dans le JDNet) qui a largement alimenté les premières chroniques judiciaires de l'Internet. Au lendemain du vote en lecture définitive par l'Assemblée nationale de l'amendement Bloche, qui fixe les contours des nouvelles obligations imposées aux hébergeurs de sites Web (Lire l'article du JDNet), et après sa réaction à chaud la semaine dernière dans nos colonnes (Lire l'article du JDNet), Valentin Lacambre en dit davantage sur cette loi, ses projets et l'avenir d'Altern.org. Propos recueillis par Fabien Claire le 7 juillet 2000. JDNet.
Cette fois, Altern c'est vraiment fini ?
Combien
de sites étaient encore hébergés par Altern?
Que
va-t-il se passer maintenant, concrètement. Les éditeurs
de sites ne vont-ils pas être tentés d'aller se faire héberger
à l'étranger?
Pourquoi vous résoudre à cette décision définitive?
Et
la deuxième raison?
Vous
convenez quand même qu'il est nécessaire de pouvoir identifier
l'auteur d'un site au contenu illicite, l'auteur d'un site nazi par
exemple? Vous
n'avez jamais envisagé la cession d'Altern?
Quelle
est l'activité qui génère la plus grande part de
vos revenus?
Et
gandi, votre activité d'hébergement de noms de domaine
? Combien
de noms de domaine enregistrés à ce jour?
Et
pour le dépôt des .fr?
Après l'affaire Hallyday, vous aviez indiqué avoir fait
l'objet de plusieurs plaintes toujours fondées sur le contenu
des sites que vous hébergiez. Avez-vous encore des procès
en cours? De
quoi s'agit-il ?
Il
y a donc erreur sur l'hébergeur?
Vous
avez d'autres projets de services en ligne?
Quels
sites trouvez-vous intéressants?
Un
regard sur l'histoire Altern et ses rebondissements?
La succession
d'Altern.org s'organise Avec l'annonce de la fin de l'aventure de l'hébergeur gratuit Altern.org par Valentin Lacambre (Lire l'interview au JDNet le 070/7/00), les initiatives de création de nouvelles structures émergent. Chez les anciens éditeurs de sites hébergés par Altern, deux thèses se sont très vites opposées mais semblent maintenant converger vers la création d'une association commune. Un premier groupe proposait la création d'une structure d'hébergement mutualisée, au modèle de fonctionement totalement démocratique. Une sorte d'Altern-bis sur un modèle de cogestion, en lieu et place de Valentin Lacambre, seul initiateur et pilote d'Altern. Les partisans de cette première initiative se sont longuement exprimés sur la liste de diffusion de l'antre.org et fédèrent les internautes désirant participer au projet sur le site lautre.net. Il sont à ce jour 538 à avoir répondu à l'appel. De l'autre côté se trouvaient les tenants de la création d'une structure de conseil et d'accompagnement, baptisée CLIP, pour Comité de liaison d'information et de promotion. Ces derniers se sont exprimés dans la liste de diffusion etmaintenant.ouvaton.org. Selon Olivier Zablocki, l'un des initiateurs de cette structure, "il s'agit d'encourager la création de nombreuses petites structures d'hébergement indépendantes, pour lesquelles l'association serait un organe de consultation, d'information et de coopération." Après des semaines de débats passionnés à l'intérieur de ces communautés informelles, on s'oriente vers la création d'une association commune aux deux groupes. Les statuts, en cours de rédaction, devraient être déposés dans les prochains jours. L'association serait un lieu de réflexion sur lequel pourront s'appuyer toutes les initiatives de création d'hébergeurs indépendants adhérant à quelques principes de bases exposés (provisoirement) à l'adresse http://pitrou.free.fr/general.html. C'est donc dans ce cadre que devrait pouvoir naître le projet de lautre.net, mais aussi le projet georeseau.net, regroupant des professionnels de l'information géographique, ou encore radioactif.net, un projet de serveur créé par des professionnels de l'information sur les risques majeurs liés à l'environnement. Pour toutes ces initiatives, il s'agit de démontrer la possibilité de préserver un espace création de site hors de tout projet commercial ou économique, et ce, dans le cadre du respect de la nouvelle réglementation définissant les conditions de responsabilité des hénergeurs de sites (Lire l'article du 19/06/00 du JDNet. [Fabien
Claire, JDNet]
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